Mathilde a 27 ans. Elle est professeur de collège. Plutôt discrète, douce, sérieuse. Elle est en couple depuis longtemps avec Thomas, leur histoire remonte à l’adolescence. Une relation longue, stable en apparence, sans trop de vagues. Une histoire qui s’est installée comme on pose des meubles solides dans un appartement où l’on décide de construire quelque chose.
Elle n’a jamais été du genre à faire des vagues, Mathilde. Même quand la vie devient dure. Elle serre les dents. Elle avance. Elle s’adapte. Et pourtant… un jour, son corps a lâché.
Ça a commencé doucement. Un jour, alors qu’elle suivait une formation professionnelle, elle a du prendre la parole. Elle a senti ses joues brûler, sa gorge se nouer, son cœur battre trop vite. Elle a mis ça sur le compte de la timidité. Elle a toujours été un peu réservée. Mais très vite, d’autres signes sont arrivés. Des bouffées de chaleur. Des tremblements. Une peur sans objet, comme si quelque chose menaçait, sans qu’on sache quoi. Et puis des crises, plus violentes qui l'obligeaient à rester chez elle, le cœur serré, les larmes prêtes à couler pour rien.
Et pourtant, rien ne justifiait vraiment ça, pensait-elle.
Sauf, les évenements dramatiques de son quotidien. L’accident mortel de sa cousine, oui, ça avait été un choc. Un rappel du décès de son père. Le licenciement de Thomas, et son chômage, qui avait duré de longs mois. Là il commençait une période d'essai.
Mais elle avait l’habitude. Depuis toujours. Depuis l’enfance, où elle avait grandi entre sa maman — très présente, aimante — et les petits frères à gérer. Elle avait appris à faire de la place aux autres. À ne pas déranger. À tout porter. Sans faire de bruit.
Mais cette fois, c’était différent. Cette fois, elle ne tenait plus. Elle ne comprenait pas. C’est quand ça allait mieux que son corps avait explosé. Quand il n’y avait plus d’urgence. Plus de drame. Juste la vie, un peu grise, un peu plate. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi cette fatigue immense ? Cette peur d’ouvrir la bouche ? Ce refus du monde ? Cette absence de désir, de projet?
Quand elle vient me voir, elle dit quelque chose qui me bouleverse :
"J’ai toujours tout pris sur moi. Mais là, je n’y arrive plus. C’est comme si mon corps disait : stop."
Et je crois qu’elle a raison. Le corps, souvent, ne crie pas pendant la tempête. Il attend que la mer se calme pour faire remonter tout ce qui a été englouti.
Mathilde commence à parler. À déposer. Ce qu’elle ne dit pas à Thomas, trop fragile, trop figé.
Ce qu’elle ne peut pas toujours dire à sa mère, trop inquiète.
Elle dit qu’elle se sent seule. Qu’elle a peur de ne plus rien ressentir. Qu’elle n’a plus envie de sexe, plus envie de sortir, plus envie de jouer à faire semblant.
Elle dit aussi qu’un jour, elle en a parlé à sa meilleure amie. Juste quelques phrases. Et que ça lui a fait du bien. Immensément. Comme si enfin, quelqu’un voyait.
En hypnose, on ne cherche pas à lui enlever ses angoisses. On l’aide à les écouter autrement. À créer un endroit intérieur où elle peut, en sécurité, déposer ce qu’elle a toujours porté.
Ses peurs. Ses tensions. Ses obligations invisibles. Et dans cet espace-là, elle rencontre une autre version d’elle-même. Une Mathilde plus libre, plus légère, moins seule.
Aujourd’hui, elle recommence à respirer. Elle relit, elle crée, elle redécouvre le plaisir d’avoir du temps pour elle. Le désir de l'autre, de son plaisir à elle. Les crises sont plus rares. Et quand elles reviennent, elle ne les subit plus. Elle les comprend.
Ce n’est pas terminé. Mais c’est en route. Elle ne veut plus vivre en mode survie. Elle veut exister, sentir, choisir, aimer… sans se perdre.
Parfois, ce n’est pas une rupture, une perte, un drame qui nous fait flancher. C’est l’accumulation. Les silences. Les absences. Le fait de toujours tout encaisser pour que les autres ne s’effondrent pas. Mais nous ne sommes pas faits pour porter seuls. Mathilde a mis du temps à le comprendre. Mais aujourd’hui, elle avance autrement.
Avec douceur. Avec elle-même.
