Il y a des vies qu’on pense tracées. Des parcours sans heurts, parfaits sur le papier. Pauline, 22 ans, en fait partie. Brillante, sportive, sociable, issue d’un milieu aisé, elle coche toutes les cases du succès. Pourtant, sous cette carapace bien huilée, une faille discrète se dessine. C’est elle qui pousse aujourd’hui cette jeune femme à consulter.

Pauline est la fille unique d’un couple de parents qui l’ont eue « sur le tard ». Très tôt, son existence s’est inscrite dans un pacte implicite : tout sera mis en œuvre pour qu’elle réussisse. Ce contrat tacite, jamais discuté, s’est traduit par une vie confortable, des études prestigieuses, une liberté de penser… mais sous contrôle. Dans le duplex familial, l’étage est pour elle, mais la porte n’est jamais totalement fermée. Elle vit en autarcie affective, dans un univers factuel où chaque mouvement doit être justifié. L’amour parental est là, sans doute, mais sous une forme conditionnelle et distante : "On te soutient, tant que tu ne dérailles pas."

Quand elle décroche un Erasmus, c’est un succès… et une échappatoire. Pour la première fois, elle peut respirer. Vivre sans rendre de comptes. Refus de laisser ses parents l’accompagner, de rentrer pour Noël, de partager quoi que ce soit d’intime avec eux : Pauline marque des frontières claires. Trop claires ? Elle semble déterminée à se construire sans ce lien parental devenu pesant. Et puisque c’est une réussite, ses parents paient. Toujours dans ce contrat étrange où la réussite justifie tout, même l’éloignement.

À son retour, l'ancien décor devient soudain oppressant. Sa mère lui demande de ranger ses valises dès l'arrivée : injonction anodine en apparence, mais pour Pauline, c’est l’étincelle. Elle claque la porte. Comme si son indépendance fraîchement acquise ne supportait plus la moindre intrusion. Février arrive, elle décroche une alternance dans un grand groupe industriel, preuve de sa valeur. Et dans ce nouveau décor professionnel, une rencontre inattendue : un autre stagiaire tombe amoureux d’elle. Flattée, Pauline s’engage dans sa toute première relation amoureuse.

Jusqu’ici modèle de sérieux, Pauline explore désormais des territoires nouveaux : la séduction, le flirt, le désir. Elle initie une histoire secrète, qu’elle ne partage pas tout de suite, comme pour protéger ce nouvel espace personnel encore fragile. Mais rapidement, son comportement change. Elle multiplie les jeux de séduction, y compris avec des hommes en couple. Elle s’y découvre puissante. Elle, si longtemps regardée pour ses performances scolaires, se découvre désormais désirable. Et cela la grise.

C’est une amie proche qui vient fissurer le vernis. Franche, elle lui dit ce qu’elle observe : une Pauline plus distante, presque ingrate avec ses parents, désaffectée dans ses liens, davantage flattée par l’intérêt qu’amoureuse, séduisante sans scrupules. Pauline encaisse. Vexée d’abord, intriguée ensuite. Elle se rend compte de la mise à distance progressive de ses amis, de son basculement vers un comportement inhabituel pour elle. C’est là qu’elle consulte.

Pauline ne semble pas en souffrance. Elle est confiante, brillante, sûre d’elle, très à l’aise dans son corps. Ses premières expériences sexuelles, vécues sans tabou (y compris pendant ses règles), témoignent d’une liberté étonnante. Mais cette autonomie émotionnelle frôle parfois le détachement. Elle avance seule, sans boussole affective. Ses parents n’ont jamais été une source d’intimité. Ses relations amicales vacillent, et son couple semble plus nourri de nouveauté que de sentiment.

Ce que Pauline interroge, ce n’est pas un symptôme, c’est un miroir. Celui que ses proches lui tendent. Elle n’a pas mal, mais elle se demande si quelque chose ne cloche pas dans cette nouvelle version d’elle-même. Elle ne remet pas en cause sa trajectoire, mais s’interroge : où est l’amour dans tout ça ? Le vrai lien ? L’envie sincère de partager, de se livrer ? Son indépendance affective est-elle une force… ou une stratégie de survie ?

À travers Pauline, c’est toute une génération qu’on entrevoit : brillante, libre, mais parfois coupée de ses racines affectives. Des jeunes adultes qui veulent tout réussir, tout explorer, tout vivre, sans pour autant savoir où s’enraciner. Son histoire n’est pas celle d’une crise, mais d’un passage. D’un modèle à un autre. D’une fille sage à une femme en devenir.

Pauline ne cherche pas de réponses toutes faites. Elle vient chercher un espace neutre, un regard extérieur, un endroit où ses contradictions peuvent cohabiter sans être jugées. Elle incarne ce moment charnière où l’on quitte les costumes cousus par d’autres pour essayer, parfois maladroitement, ses propres habits.

Et si la maturité, c’était précisément ça : oser se regarder autrement, même si ça dérange ?